Oz - The thread

par Guillaume Lemaitre
26-10-2005

The Thread est le voyage déroutant d’un jazz qui soudain se prend à parler une autre langue. Et s’empare d’un vocabulaire façonné dans les bruits arrachés à ses propres instruments, guitare, batterie, saxophone, détournés. Un disque parcouru d‘une vibration jazz qui, à son tour, féconde l’aridité des territoires ainsi découverts, par un sens mélodique à chaque instant prêt à frémir.


Oz est un projet à la beauté étrange. Un trio. Saxophone, guitare, batterie. La morgue de l’électricité, la sensualité du souffle, la violence des percussions. Cette alliance de timbres, saxophone et guitare, qui zèbre si bien d’autres productions du label Chief Inspector. Une alliance ici tendue de percussions attentives, sourdes aux clichés comme aux pulsations martelées.
Et si le disque débute par un thème improbable, la musique s’aventure bien vite hors des sentiers du jazz. A moins que les itinéraires vagabonds au travers de forêts étrangères ne soient la leçon que ces musiciens aient décidé de retenir, justement, du jazz? Cette génération qui doit autant aux folies des musiques improvisées libertaires, aux élaborations complexes du jazz contemporain, qu’au rock et aux musiques électroniques. Car Oz délaisse bien vite les notes domestiques pour venir se frotter aux sons mal peignés qui rampent sous le vernis des instruments. Et nous entraîne vers l’exploration d’un silence peuplé de cris inquiets, échappés d’instruments haletants, matière frappée, grattée, récalcitrante. Fracas d’une large plaque de tôle secouée de longs soubresauts électrique, percussions fébriles et paniquées. Echos trafiqués, ritournelle ânonnée par un orgue de barbarie d’une science fiction déglinguée. Hurlements sauvages. Bruitages cinématographiques. Moments de tempête, moments presque silencieux mais pourtant grouillants de détails (ce sont sans doute les instants les plus intenses du disque, à écouter au casque, ou très fort, si les voisins tolèrent les explosions de dynamique). Le minimalisme de cette étreinte à trois permet à Oz d’atteindre aussi bien un dénuement de plaintes et de soupirs, que la fureur des improvisations collectives, convoquant au passage des basses d’outre-tombe, guitares, voix, démesurément grave, distordues. Et dans les creux, dans les plis, apparaissent çà et là des bribes de mélodies, des souvenirs de refrains, le chant d’un saxophone très jazz, un souffle mélancolique, la douceur d’une courbe dans une relief déchiqueté.
Et, oscillante, la musique d’Oz évolue dans l’attraction de ces deux champs de gravitation : le jazz, et ces musiques improvisées qui n’aiment rien tant que de faire avouer aux objets, aux choses, des sons inouïs et secrets. Musique concrète lorsqu’elle se forge dans le réel du bruit de la matière courante, abstraite lorsqu’elle abandonne tout système mélodique pour peindre des sensations sonores brutes. Une musique qui s’invente à chaque instant, utilisant collages, samples, zapping frénétique, techniques dérobées à d’autres terres musicales, sans d’autres règles que celles qui président à la propagation du frisson.




Oz – The thread
Chief Inspector - mai 2005



Marc Baron: saxophone alto
Nicolas Villebrun: guitare
Emiliano Turi: batterie

Compositions: Marc Baron